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Les coccinelles

  • Photo du rédacteur: wrebek
    wrebek
  • 18 févr. 2019
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 16 août 2019


«Si petit, pis ça veut vivre», disait ta grand-mère.


La coccinelle a plusieurs amies sur le cadre de cette fenêtre. Mais tu ne regardes pas les autres. Juste celle qui grimpe la surface vitrée, seule.

Tout à l'heure, la bête était sur le dos, ses petites pattes grouillantes d'effort pour se remettre à l'endroit, ses élytres et ses ailes plaquées au rebord de la fenêtre par quelques gouttes d'eau que la condensation a formées près du vitrage.

Tu as offert le bout de ton petit doigt et la coccinelle s'y est agrippée immédiatement.

Maintenant, elle est presque au centre de la vitre, en plein soleil.

«Si petit, pis ça veut vivre», disait ta grand-mère.



 

-J'angoisse, docteur, j'angoisse.

-Mmmh.

-Ne pouvez-vous pas me prescrire une substance qui réduirait mes symptômes d'anxiété?

-Mmmh.

-J'angoisse, infirmière, j'angoisse.

-Le docteur ne vous a rien prescrit?

-Non. Il a peut-être peur de surmédicamenter, peur que je m'abrutisse?

-Mmmh.

-Est-ce qu’il n’y a pas un psychologue disponible?

-Pas d'argent, pas de temps. Juste les cas lourds. Je vais demander au docteur de vous prescrire quelque chose...

-Mmmh.

 











«Inspirez profondément en comptant jusqu'à cinq.

Expirez lentement en comptant jusqu'à cinq.

Retenez votre souffle en comptant jusqu'à cinq.

Imaginez une plage.

Sentez la chaleur du soleil sur votre peau, celle du sable sous vos pieds.

Entendez le bruit du ressac qui suit le même rythme que l'air frais qui entre par vos narines puis ressort chaud, toujours par vos narines.

1...2...3...4...5...»


 













Peut-être que — un poème cancérigène


Peut-être que j'ai trop mangé de telle affaire?

Peut-être que c'était dans l'air?

Peut-être que ça vient de la Terre?


As-tu essayé le jus de <insert item>?

Peut-être que t'as subi trop de <insert item>?

J'ai entendu dire par un ami de ma cousine au second degré que pour guérir du cancer,

il suffit de manger le fruit de <insert item>.







 

«Ce n’est pas facile la chimiothérapie. C'est vraiment difficile, personne ne veut faire ça de la chimiothérapie», dit l'oncologue qu'on suppose bien intentionné.


«Non? C'tu vrai? Hey, Doc, sais-tu quoi? J'ai le goût de te secouer par les épaules là. De te crier par la tête: "Pas facile la chimio?" Ben voyons donc, je sais pas de quoi tu parles! Ma mère, elle, elle a fait seulement deux des traitements de chimiothérapie prévus et pis elle pouvait plus vivre faque ben je pensais que c'était des vacances moi, la chimio! T'es sérieux?», se dit la patiente à bout d'elle-même.


(«Inspirez profondément...») Je sais.


Je sais: c'est ton discours, ton laïus. Ta persona medicorum. Car, clairement, il ne faut pas s'attacher. Sais-tu que ça me prendra jusqu'à la fin des traitements actifs pour commencer à te faire confiance? Et même là, j’ai l'impression d'être tenue à bouts de bras. Ou bien, est-ce plutôt moi qui me protège tellement que c'est le reflet de mon propre masque que je vois dans tes yeux ?

 

«Inspirez profondément en comptant jusqu'à cinq.

Expirez lentement en comptant jusqu'à cinq.

Retenez votre souffle en comptant jusqu'à cinq.

Imaginez une plage.

Sentez la chaleur du soleil sur votre peau, celle du sable sous vos pieds.

Entendez le bruit du ressac qui suit le même rythme que l'air frais qui entre par vos narines puis ressort chaud, toujours par vos narines.

1...2...3...4...5...»

 

-OK. Attends, attends. Je l'sais ben que tout le monde fait son possible dans un système aux engrenages encrassés, rouillés, où il manque parfois des sets entiers de petites roues dentées. En tout cas, un truc vraiment loin de l'élégance d'une horloge suisse: pas d'argent, pas de temps, plein de gens qui font leur tite affaire dans leur coin. Les patients, nous autres, on connait pas les services, qui fait quoi, pis où.

Faut encore qu'on se retrousse les manches; pis envoèye les bras dans marde pis cherche pis cherche l'engrenage, la petite roue d'information qui tourne trop vite;

Faut créer un outil, une app, quelque chose! Faut, faut, FAUT!Ah!... Pis, tu sais quoi? D'la marde!

-Hein?

-Fuck off!

-Ben voyons? Qu'est-ce qui te prend?

-De. La. Mar-de! C'est mon temps après tout! Mon temps, à moi! Pourquoi je prendrais de montemps pour me battre contre la grosse machine administrative de notre système de santé qui empêche toute initiative? Ah! Je le vois ben: j'suis encore en train de faire la même chose que d'habitude. Encore moi qui se lève de table la première pour aller faire la vaisselle pendant que Papa passe pourtant son temps à me dire: «Reste donc assis-là, on f'ra ça talleur.» Oh que oui que j'ai compris-là: je vais rester assise. Même si je sais que mes idées sont bonnes pis que ça améliorerait l'expérience usager. Même si. Je reste assise. Assez! Laisse faire l'ego; laisse faire les autres! On met assez d'argent dans ce système là, il devrait être en mesure de trouver les solutions par lui-même, non?

-C'est sûr que t'es pas la seule à avoir des idées. *lève les yeux au ciel*

-Combien de projets avortés? Combien d'appels enthousiastes de "J'veux aider" dont le crescendo s'est heurté au mur de glace du système en place? Qui le fera fondre ce mur si l'hiver n'en finit plus?

-Eh! Que t'es dramatique! *soupir*

 

Entre l'avait et l'aura; le l'a.

Le là qui est ici, dedans.

Présent.

«Inspirez profondément en comptant jusqu'à cinq.»

Expire.

 

Apprendre le bruit que fait l'eau dans ma théière, sur le rond sud-ouest de la cuisinière, lorsqu'elle atteint 75 degrés Celsius.


Aller marcher dans le bois, sur les sentiers patiemment dessinés au skidoo par mon conjoint.

Se faire raser les cheveux.


Donner ses cheveux parce qu'ils atteignent le minimum de huit pouces requis.


Apprendre à nouer un foulard de cinq façons différentes sur YouTube.


Porter toujours le même foulard noué de la même façon.


Lire un paragraphe puis fixer le vide durant une minute, 10 minutes, toujours.


Avoir des cils qui repoussent, frisés.


 

Présent.

«Inspirez profondément en comptant jusqu'à cinq.»

Expire.

 

Je ne veux pas ouvrir de fenêtre, même si ça voudra dire que la porte restera fermée pour l'instant. Je veux seulement laisser mon histoire tourner en rond entre mes quatre murs à moi, jusqu'à ce qu'elle tombe en flaque au milieu du plancher et que je puisse l'essuyer doucement avec la moppe.

Après, plus tard, quand le plancher sera sec et le ménage fait, je penserai peut-être à ce que je peux faire au sujet de cette porte. Peut-être.


Si les coccinelles ne sont pas revenues.





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