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  • Photo du rédacteurwrebek

Les cordes qu'on (re)tient de par l'intérieur










Quand j'écoute bien, en marchant dans le bois, je réalise qu’à travers les saisons flotte une légère odeur de décomposition perpétuelle. Au printemps, cette odeur m'est particulièrement rassurante. Nourricière. Fruit de l’annualité du cycle de vie des feuilles et autre verdure, cette odeur nous montre la simplicité du cycle de vie:


Naître.

Grandir. Mourir.

L’odeur que dégageait ma mère quelques mois avant sa mort n’avait, quant à elle, rien de rassurant ou nourricier. Celle qui, toute ma vie, avait fleuré le Youth Dew d’Estée Lauder mélangé au Secret Poudre pour bébé, excrétait maintenant un vinaigre inconnu. Elle sentait le «sur». Cette odeur, accrochée pour toujours à mes cellules olfactives, me ramène à cet instant, ou plutôt ces instants, où, penchée vers l’avant, elle restait affaissée dans son fauteuil dans le salon. À l’écran, des images inaudibles. Elle, elle; son regard fixant un point invisible, une autre dimension. Même lorsque la lumière bleue s’évanouissait, sa peau en retenait la couleur.


À l'époque, j'avais l'impression qu'elle ne percevait même plus sa respiration ahanante. Maintenant, je crois plutôt qu'elle n'est plus que cette respiration mécanisée par la machine trônant près du fauteuil et qui, malgré la pénombre, envahissait toute la pièce.

Et cette toux.


Quelque chose en elle vibrait, attendait. Ça ne venait pas de son visage; toujours las, éteint. Ni de ses mains, emmêlées, machinalement. Ses doigts effilés, ses ongles cassés.

Elle me semblait telle une fin du monde. Une faille, toute tendue vers ce point dans l’air, quelque part entre son fauteuil et l’écran; de vieux mouchoirs gonflant ses manches aux poignets serrés; les verres d’eau multipliés dans le salon, vides, pleins.


Sa mort en fut une de fin du monde, pour moi du moins.

Après, que reste-t-il?

Une vie d'amoncellement. Petites piles de papier, de photos, de bibelots. Des prières jetées au fond d’un cahier. Contre les murs, le salon, la chambre, le bureau, la cuisine, les boîtes s’accumulent. Les pièces de l'appartement de ma mère se vident et moi, au milieu, éparse, j'écoute le bruit de la vaisselle qui se casse en tombant au fond du conteneur apporté par les employés de 1-800-RAMASSE.



 

Naître.

Grandir. Mourir.

Certains objecteront diverses sous-étapes comme: apprendre, aimer, vieillir. Des détails qui sont pourtant loin de s’appliquer à l’humanité entière, ou, s’ils s’y appliquent, le font en combinaisons diverses et déséquilibrées. J’ai souvent eu l'impression que ma mère, elle, n'avait pas grandi, mais qu'elle s'était plutôt construite peu à peu, en se rapiéçant le mieux possible. L’impression que, avant même le cancer, avant même de devenir une mère, elle restait en vie grâce à un effort conscient pour garder toutes ses composantes en un tout cohérent. Comme si elle devait constamment se rappeler que l’artère pulmonaire part de là et va jusque là. Que l’humérus s’attache à l’épaule et que les petits orteils doivent être positionnés juste ici, tout au bout du pied.


L’impression que si elle ne faisait pas cet exercice à chaque instant, tous ces morceaux, ces parties de son corps s’envoleraient soudainement vers le ciel, ou encore, qu’elle tomberait plutôt en un petit tas de molécules, au sol.


On pourrait peut-être penser qu'elle n'avait pas l'espace, la possibilité, ni même l'énergie suffisante pour exsuder cet amour qu'on attend, qu'on exige d'une mère. Pourtant, l’amour de ma mère ne faisait et ne fait encore aucun doute. Ses choses, en tas dans mon grenier, n’y ajoutent rien.

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