La vaisselle
- wrebek
- 24 mars 2019
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 août 2019
Avant, j'haïssais ça faire la vaisselle. Avant le cancer, je veux dire. Maintenant, ç'a pris une toute nouvelle dimension.
Bon, attends un peu, je reformule ma pensée. La vaisselle, ça me fait chier. J'haïs ça laver la vaisselle. Surtout que je suis le genre de personne qui prend une spatule, trois cuillères, deux couteaux, pis une fourchette (ben oui tsé, pour goûter), trois chaudrons pis un bol en céramique pour faire du spagatt. Ouin. J'ai un problème. Marie Kondo, c'est pas moi!
N'empêche que faire la vaisselle m'énarve pas mal moins qu'avant. Même que, ç'a m'amène ailleurs. (Whoh! Capote pas! Oui, ok, je yogate, mais y'a des limites à toute! L'encens, j'allume pas ça en-dehors de la toilette (sauf des fois dans la chambre à coucher quand y fait vraiment frette pis que la fenêtre à r'ouvre pu parce qu'est gelée pis que ça sent le câliboire pis qui faut changer l'air ça presse (parce que ça sent l'apnée pis la bouche sèche même si j'ai lavé les draps pis qu'y'a pas un morceau de linge sale qui traîne. Fin de la triple parenthèse.)))

Hey! T'es encore là? Coooool! C'est beau la persévérance. Lâche pas, je reviens sur mon sujet aussitôt que je me souviens de quoi je parlais...
Ah! Ok. La vaisselle: ark! - Cancer - Vaisselle: moins ark.
Faque ouin, dans la dernière année, cette tâche banale et répétitive a pris une autre dimension. (J'irais pas jusqu'à dire «une autre signification» parce que, ben y'a pas vraiment de signification derrière laver de la vaisselle. C'est juste la résultante d'avoir utilisé cette même vaisselle... Hey! T'avais allumé de l'encens toi, hen? Éteins ça tu suite!) Mais petit à petit, c'est devenu un genre de point d'ancrage. Peu importe ce qui s'est passé dans la journée, y'a de la vaisselle à faire à un moment donné. C'est comme rassurant. Pis en plus, c'est presque comme prendre un bain! En tout cas.
Si y'a ben un truc pas compliqué, c'est faire de la vaisselle:
íeau chaude+savon+vaisselle sale+torchon=vaisselle propre+tada!
(Mon équation ne respecte sûrement pas la syntaxe mathématique réglementaire, mais on s'en câlisse! I'm making a point here ヽ(‘ヘ´○)ノ Stop tone policing me!)
Et pis, de la vaisselle, y'en a tous les jours. Même des fois, plus d'une fois par jour. Surtout chez nous, tsé, multiplication des ustensiles:
Partenaire de ma vie: «Ben voyons, pourquoi l'évier est rempli de vaisselle, on mange juste du spaghetti?»
Moi: «Mais oui, mais j'avais besoin d'une spatule pour brasser la viande crue pis après, la viande s'est cuite faque j'ai pris une cuillère de bois pour brasser les légumes dans la viande. Pis après, j'ai parti la sauce tomate; ça prenait une autre cuillère, en métal parce que la tomate, ça tache le bois. Pis là, j'ai pris une fourchette pour goûter la viande. J'ai rajouté du sel pis du piment fort. J'ai oublié que j'avais sorti une cuillère de bois pour la viande, faque j'en ai sorti une autre pour brasser les épices dans la viande, pis, pis, pis, etc.»
Je te laisse imaginer ce qui arrive avec les chaudrons, les couteaux, les serviettes, alouette. *soupir*.
Mais.
Depuis cet été, durant mes traitements de chimio, la chirurgie, la radiothérapie et tous les hauts et les bas que ça implique, j'ai appris à apprécier les petits liens simples et faciles qui nous rappellent qu'on est sur la Terre pas juste pour se faire chier. Et la vaisselle en fait partie.
Oui. Bon. J'ai peut-être l'air de me contredire là, mais comprends-moi: quand t'as de la misère à te lever de ton fauteuil parce que tu feels comme de la marde pis que ça fait au moins trois épisodes Netflix que t'écoutes et que t'as aucune idée de qui est qui dans l'histoire, mais que tu cliques sur «next» quand même parce que ça te donne au moins l'impression d'avoir fait quelque chose dans ta journée, réussir à faire la vaisselle, ça devient un accomplissement presque digne d'un party.
Parce que durant les traitements dits «actifs»[1], ça devient quelque chose de vraiment important, avoir accompli quelque chose dans ta journée. Au moins. Une. Chose. Des fois, c'est juste t'être levée de ton lit pour aller te coucher sur le divan. D'autre fois, c'est t'être levée du divan pour être retournée dans ton lit. Pis les bons jours, c'est d'avoir fait la vaisselle.
Depuis que j'ai terminé mes traitements actifs, mon énergie revient par à-coups. Y'a des jours où je pense être redevenue presque comme avant, mais le lendemain: CRASH! Faque la vaisselle est restée mon point d'ancrage, ma petite activité qui me donne au moins le sentiment de ne pas m'être levée pour rien; bon jour, mauvais jour.
On s'entend bien: j'haïs ça la vaisselle. Mais moins qu'avant.
[1] Chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie.
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