La peur
- wrebek
- 8 juil. 2019
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 août 2019
Y'a comme une étape de faite: IRM mammaire ne montrant aucun signe de récidive ou de processus néoplasique. Est-ce que ça veut dire la même chose que rémission? Aucune idée. On ne semble pas utiliser ce terme par ici. Ça donne trop d'espoir? Il faut attendre encore? Un peu comme le retrait du port-a-cath: «on va attendre encore un peu, au cas où». Phrase de marde.
On dirait que je ne sais plus de quoi parler avec ma famille et mes proches. Bon, ça y est, exit le cancer. Tannée d'en parler anyway. Mais là, quoi d'autre? Pas encore de retour au travail, mon quotidien est assez quotidien merci. Mais, qu'est-ce que ça peut bien faire?
En fait, j'ai comme un besoin de silence. Plus parler de rien. Me vider complètement le buffer social.
Je ne sais plus ce que j'ai en commun avec le reste des humains. Suis-je une nouvelle espèce? Une mutante? Ça fait un peu ça aussi, le cancer: ça te mute jusqu'au plus profond, te transplante. Te transmute.
La même hypersensibilité à fleur de peau que lorsque je suis restée trop longtemps couchée, lorsque je ne suis même plus confortable dans mon propre lit et que le moindre pli dans les draps me fait capoter. J'endure pu mes vêtements, mes jeans, ma maison, mon quotidien, mes interactions sociales, mes osties de bobettes calvaire! Comme une fatigue intense ou un trop-plein de quelque chose.
Un besoin de ménage, de décroûter des affaires. De revirer la tente de bord pis de secouer le sable ben comme il faut. De juste m'asseoir devant rien. Devant pas la vaisselle, devant pas la balayeuse à passer, devant pas les amis ou la famille à appeler, devant personne à écouter. Pis passer le balai sous les meubles, un par un.
D'un autre côté, mon besoin de ménage a peut-être une source anxieuse; l'épée de Damoclès de la récurrence. Non, mais si y'a ben une expression qui vieillit mal dans vie...! D'abord, qui utilise encore son épée dans la vie de tous les jours? OK, Google: cherche Damoclès.
Non, moi, j'te dirais que j'attends plutôt le prochain coup d'pelle. Tout le monde a ça une pelle, t'arrives bien à imaginer qu'un coup dans la face, ça fait plutôt mal, non? Me semble que c'est plus clair. Anyway.
Ça va faire un an que j'ai reçu mon diagnostic. Mais je le savais depuis septembre que quelque chose clochait. J'avais une douleur au sein gauche, ça tirait. Rien à voir avec les douleurs des SPM. Mais on dit que le cancer du sein ne fait pas mal. J'avais aussi une sensation de brûlure dans le dos. Je croyais que c'était lié seulement à mon travail qui demande d'exécuter des mouvements répétitifs. Il semblerait que plusieurs femmes diagnostiquées se sont plaintes de ce genre de douleurs dans les mois précédents. Mais on pense pas «cancer» lorsqu'on reçoit une patiente de 37 ans avec une toute petite masse au sein ça l'air. "Reviens dans trois mois" dit le radiologue. OK. Trois mois plus tard, branle-bas de combat. Batterie de tests. Ça y est. «Vous avez un tout petit cancer du sein. On va vous ôter ça vite-vite, ça va bien aller.» Mettons.
Faque asteur, on dirait que j'ai de la misère à faire confiance. Je pose douze mille questions sur les effets secondaires de chaque substance qu'on veut m'injecter, me faire avaler par peur de la récidive. J'ai toujours l'impression qu'on minimise ces effets-là. Comme si on ne voulait pas me faire peur. Mais arrêtez le hamster dans mon cerveau, voir! Le moindre pincement devient une possibilité de retour des cellules rebelles. Est-ce que c'est seulement l'angoisse de la récurrence qui me picosse? Est-ce que ce sont des «ganglions au hile graisseux, probablement réactionnels» et donc pas épeurants?
Pendant un an, on m'a auscultée, ouverte, piquée, scrutée, rayonnée, magnétiquement imagée et résonnée. Pendant un an, on m'a demandé aux trois semaines d'observer mon corps et de rendre compte du moindre symptôme non conventionnel.
Mais depuis six mois, depuis la fin des traitements actifs, pfuit! Plus de suivi rapproché. D'un côté, ouf, on me laisse enfin un peu tranquille. D'un autre côté... L'hormonothérapie à long terme doit prévenir les retours importuns des cellules défectueuses. «Super, alors t'es guérie? C'est fini?» me demande-t-on. «Haha!» que je réponds.
Car cette même thérapie apporte deux amies insistantes avec elle: Miss Insomnie et Madame Humeur Instable. Effets secondaires de la ménopause (induite chimiquement ou pas), elles te gardent les deux yeux ben ouverts et le coeur palpitant.
Maudite angoisse de marde qui te fait ressentir chaque petit pincement et couinement de ton corps en te proposant mille raisons plus affolantes les unes que les autres pour leur existence.
Mais.
Il reste toujours ce mais. Car je me souviens que ces tortures ordinaires infligées à mon esprit insomniaque d'il y a un peu plus d'un an, ce sont elles qui m'ont portée à consulter. Si je n'avais pas écouté ces petites douleurs, qui sait où j'en serais aujourd'hui?
Donc, oui, je vous achale sans vergogne, Messieurs mes Médecins Traitants avec mes douze milles questions. Parce qu'en attendant que ce test fasse d'emblée partie des outils de détection, je n'ai rien d'autre que l'angoisse pour m'aviser d'un retour de la néoplasie entre deux mammographies.

(Texte écrit au courant des mois de mai et juin 2019.)
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